Lettre 33 - mars 1998 France 98

PASSION

A 77 ans, le vénérable comédien, également romancier, metteur en scène, producteur, humoriste et ambassadeur de lUNICEF, conserve malice et espièglerie. Globe-trotter polyglotte, anobli par la Reine dAngleterre et lauréat de deux Oscars, Peter Ustinov, qui vient de triompher à Moscou en montant un opéra au Bolchoï, aiguise son insatiable curiosité en sillonnant la planète. Doù un regard panoramique et universel sur le ballon rond.

Dans ma jeunesse, jai joué au football. Maladroit de nature, on me confinait au poste de gardien de but. Davantage que mon agilité, cest mon embonpoint, capable de " masquer " le but, qui mattirait les faveurs de mes partenaires. Et puis, parfois, en voulant me protéger, il marrivait de sauver un ballon. Dans le champ, je savais aussi millustrer. Ce qui surprenait ladversaire, cétait ma vitesse dexécution, bien que je ne sois " foudroyant " que sur une courte distance. Aujourdhui encore, je dispose de solides réflexes. En 1980, pour le festival de Stratford, je répétais le Roi Lear. Je minterrogeais alors de savoir si je nétais point trop âgé pour le rôle quand, au moment de mon unique repas quotidien, tombe mon verre deau. Jai réussi de justesse à le récupérer avant quil ne sécrase au sol. Jétais rassuré. Le bon timing, il est lessentiel de lavoir dans notre métier. Et, chez moi, la pratique du foot la certainement renforcé.

Le football est en constante évolution. Il est plus physique surtout. Et ça me plaît. Il est en outre beaucoup question de stratégie. Cela devient intellectuel, une vraie partie déchecs. Jaime la subtilité de ce sport, les équipes sachant varier de tactique en cours de jeu. Quant aux surprises, elles me régalent, comme linoubliable Corée du Nord-Italie de 1966. Cela purifie latmosphère. Seule la Coupe du Monde autorise lavancée considérable, sur la scène internationale, de petits pays.

"A leur manière,
les footballeurs sont des artistes.
Ils ont besoin de se mettre en danger."

Par mes origines russes et allemandes (jai aussi du sang italien et français), je me sens plus un tempérament slave. Bien que nétant pas supporter dune nation en particulier, jai été sensible au fait que la Russie ait été sortie par lItalie lors des phases préliminaires de FRANCE 98. Parfois, niveau suspense et qualité, les matches des éliminatoires sont plus intéressants que la phase finale. Dailleurs, je suis encore sous le charme de la rencontre Iran-Japon.Sur mon passeport, je suis Anglais. Mais, si jai longtemps vécu à Londres, cela ne signifie pas que jencourage Glenn Hoddle et les siens. Ils le sont déjà bien assez. En revanche, je nai pas vraiment goûté la " main divine " de Maradona en 1986. Cette décision injuste de larbitre ma fâché.

Partout où je voyage, dès lors que je quitte mon chalet en Suisse, je me branche sur le foot. Sa condition humaine et ses diverses cultures mintéressent. La façon dont on pratique ce sport varie selon les continents. Le caractère de chaque nation se retrouve généralement dans son football : fougue pour les Japonais, réserve pour les Chinois par exemple. Mais mon rêve demeure de voir se mesurer un jour, pendant une Coupe du Monde, les Etats-Unis et lIrak. En espérant que la partie sachève normalement !

En 1982, jai été invité à Madrid pour la finale de la Coupe du monde, entre lItalie et lAllemagne. Quel contraste entre ces deux formations ! Lambiance était extraordinaire. A leur manière, les footballeurs sont des artistes. Ils ont besoin de se mettre en danger et, à linstar des comédiens oubliant leur réplique, cest quand la cage est grande ouverte quils ratent parfois loccasion. Japprécie encore chez eux la synchronisation des mouvements, la coordination entre lintention et la réalité, lexactitude des passes. A cet égard, Beckenbauer et Ginola sont de beaux exemples.

Ce qui ma toujours étonné, cest de ne pas déplorer davantage de blessés chez les joueurs lorsquils " sempilent " après avoir inscrit un but. Vous imaginez, si on faisait ça au théâtre pour ponctuer chaque belle scène, la pièce serait vraiment trop longue !